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"Jusqu'à mon dernier souffle": le combat d'une mère turque contre les féminicides
La vie de Filiz Demiral a basculé un jour d'août 2020. Par téléphone, un policier lui annonce que sa fille Ceyda, tout juste 20 ans, a été retrouvée morte. Un suicide, pense d'abord la police turque.
Filiz Demiral refuse d'y croire et, très vite, les faits émergent: sa fille est morte sous les coups d'un homme rencontré en ligne, auprès duquel elle souhaitait adopter un chien.
"Son bras était presque entièrement sectionné et elle avait cinq plaies profondes à la gorge, à la mâchoire et sur d'autres parties du corps", raconte quatre ans plus tard à l'AFP cette mère âgée de 47 ans, la voix tremblante de douleur et de colère.
Dimanche, Filiz Demiral s'est jointe à une manifestation organisée à Istanbul à la veille de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, aux côtés d'autres proches de femmes tuées, dans un pays où 327 féminicides ont déjà été recensés par des associations en 2024, dont 49 rien qu'en octobre.
L'enquête a montré que sa fille a été tuée après qu'elle eut repoussé des avances, et la justice, après avoir condamné le meurtrier à 24 années de prison, a réduit sa peine de moitié, arguant de circonstances atténuantes, déplore Filiz Demiral.
"Refuser un rapport sexuel a été considéré comme une raison pour tuer", s'étrangle la mère, qui a fait appel de la décision et s'est promise de porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme si nécessaire.
"Il n'y a rien qui dissuade", affirme-t-elle, regrettant que certaines décisions de justice ne soient "pas correctement appliquées". "Cela encourage les hommes. Ils tuent au moindre coup de colère", fulmine-t-elle en rappelant que le meurtrier de sa fille avait déjà été condamné pour violences.
- "Vivre librement" -
Lors de la manifestation de dimanche à Istanbul, des participantes ont brandi des photos de leurs filles assassinées, sous le regard de nombreux policiers qui les ont empêchées de défiler.
D'autres tenaient des pancartes sur lesquelles était écrit: "Si je +tombe d'un balcon+, n'y croyez pas: j'aime la vie", une allusion aux morts parfois classées comme accidents ou suicides mais que familles et associations féministes considèrent comme de potentiels féminicides.
Le gouvernement turc, qui a dénoncé en 2021 la Convention dite d'Istanbul qui impose de poursuivre les auteurs de violences contre les femmes, arguant que son propre arsenal législatif suffit à les protéger, ne publie pas de statistiques sur les féminicides, laissant cette tâche aux organisations féministes.
"Les féminicides que nous recensons dans les journaux ne concernent que les morts évidentes, pas les décès suspects ni les suicides, dont le nombre reste inconnu", explique Leyla Soydinç, volontaire de l'association féministe Mor Çati.
"Nous avons interpellé le gouvernement mais il refuse de répondre", ajoute la militante, dont l'association dispose d'un foyer d'accueil à Istanbul pour les femmes fuyant les violences qu'elles subissent chez elles.
"La Turquie n'offre pas de protection suffisante. C'est pourquoi nous apprenons aux femmes à anticiper le risque de violence", développe-t-elle, reprochant à la police de tenter parfois des médiations entre les maris violents et leurs femmes venues chercher secours.
"Cette impunité a légitimé la violence contre les femmes et a provoqué une hausse des féminicides", affirme Bahar Uluçay, une des participantes à la marche organisée dimanche à Istanbul, qui dit avoir déjà été interpellée par le passé pour avoir manifesté contre les féminicides.
"Nous continuerons à manifester jusqu'à ce que nous puissions vivre librement, jusqu'à ce que les criminels soient punis. Et je crois que nous gagnerons cette lutte pour les droits", assure la militante, âgée de 27 ans.
Filiz Demiral est elle aussi bien décidée à mener jusqu'au bout son "combat pour la justice".
"Je me bats pour les autres femmes. Je suis déterminée à le faire jusqu'à mon dernier souffle."
J.Bergmann--BTB