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Près de la Tchétchénie, sur les traces du soldat Gornakachvili, tué en Ukraine
Sergo Gornakachvili a grandi en Géorgie dans une région meurtrie par la guerre toute proche en Tchétchénie. Il a ensuite vécu en Ukraine où il est mort, au printemps 2024, en combattant la Russie. Avant de partir au front, il était boulanger.
A son échelle, ce témoin de trois décennies de bouleversements postsoviétiques fait le lien entre les guerres du Caucase des années 1990 et l'invasion de l'Ukraine en février 2022, dénoncée par Kiev comme une résurgence de l'impérialisme russe.
"Sergo a vu beaucoup d'horreurs. Mais il est toujours resté souriant, gentil, aimant", dit son frère cadet, Dimitri Gornakachvili. "Personne ne pouvait lui faire répéter un mensonge."
L'AFP a retracé son parcours en partant du village d'Omalo, dans la vallée géorgienne de Pankissi (nord-est), frontalière de la Tchétchénie.
Pendant les deux conflits (1994-1996, 1999-2009) opposant Moscou à une rébellion indépendantiste tchétchène progressivement islamiste, cette vallée servait de sanctuaire aux séparatistes.
Ces derniers franchissaient les montagnes pour se cacher en Géorgie. Des milliers de civils y fuyaient aussi les exactions russes.
En 2004, le gouvernement géorgien, soutenu par Washington, en a chassé les islamistes. Mais dans les années 2010, des dizaines de ses habitants ont rejoint le groupe Etat islamique en Syrie et en Irak.
Depuis, la paix est revenue dans la vallée.
- Ancêtres -
Le regard affuté de Tamaz Tsintsalachvili vous transperce. Puis sa poignée de main vous écrase. On se présente en russe et il rétorque, en russe, qu'il "déteste les Russes".
Dans la vallée de Pankissi, cet homme de 69 ans, cousin du père de Sergo Gornakachvili, n'est pas n'importe qui.
Il affirme avoir été entrepreneur dans le pétrole à Grozny, la capitale tchétchène, y avoir subi les bombardements russes, et avoir été entraîneur de l'équipe égyptienne junior de lutte gréco-romaine.
Fin mars 2024, peu avant sa mort au combat à 36 ans, Sergo Gornakachvili avait retrouvé Tamaz Tsintsalachvili à Omalo.
"Quand Sergo est venu avec son frère, il m'a demandé de me rendre au cimetière avec lui. Il s'est rendu sur les tombes de ses ancêtres", raconte l'ancien. "C'était comme s'il nous disait au revoir."
De par son père, Sergo Gornakachvili était membre de la minorité kiste. Cette ethnie musulmane, majoritaire dans la vallée, parle un dialecte tchétchène.
Mais il était né en Ukraine, pays de sa mère, et s'était converti au christianisme orthodoxe. Très jeune, avec ses deux frères et sa soeur, il était parti vivre en Géorgie, à Akhmeta, aux portes de la vallée de Pankissi.
- Enfance -
L'institutrice de Sergo Gornakachvili, Mzia Sekhniachvili, 68 ans, reçoit l'AFP à Akhmeta sur un banc près duquel tombent des feuilles mortes.
La volubile enseignante se souvient d'un élève intelligent, sportif, qui faisait chavirer les coeurs de ses petites camarades. Une époque marquée par les crises ayant suivi la dislocation de l'URSS.
L'indépendance de la Géorgie est alors endeuillée par deux guerres : l'une contre les séparatistes d'Ossétie du Sud (1991-1992), l'autre contre ceux d'Abkhazie (1992-1993) soutenus par Moscou.
Ces conflits, perdus par Tbilissi, ont fait des milliers de morts et nourri une rancoeur tenace à l'égard de la Russie.
A Akhmeta, comme ailleurs, la situation était terrible en ce temps-là : pénuries, coupures d'électricité, épidémie de toxicomanie, relate Mzia Sekhniachvili.
Elle a apporté une photo de classe de 1995, où l'on voit Sergo Gornakachvili, et un livre : le manuel scolaire avec lequel elle lui a appris le géorgien. Elle a ressenti son décès "comme celui d'un fils".
Mzia Sekhniachvili comprend néanmoins son choix de combattre le régime de Vladimir Poutine qui, outre l'Ukraine en 2022, avait envahi la Géorgie en 2008.
Elle éprouve une "douleur profonde" pour les Ukrainiens et un "grand mépris" pour le parti au pouvoir dans son pays, "Rêve géorgien", accusé de dérive autoritaire prorusse.
- Montagnes -
En 2007, Sergo Gornakachvili s'était installé en Ukraine pour tenter, en vain, une carrière de footballeur. Après divers métiers, il avait ouvert, fin 2021, une boulangerie à Kiev.
Sur Facebook, ses publications dénoncent l'agression militaire de Moscou contre l'Ukraine, dès 2014.
Quand survient l'invasion de 2022, il quitte la capitale ukrainienne avec sa femme et leur fille pour la Pologne, où il reste peu de temps.
A son retour en Ukraine, il s'engage dans l'armée. Sur une photo du front, il a les yeux cernés, le visage sale, une épaisse barbe et porte un écusson avec la tête de maître Yoda.
Fin mai 2024, il est tué alors qu'il combat dans une unité spéciale des renseignements militaires ukrainiens (GUR), dans la région de Kharkiv (est), visée alors par une nouvelle offensive russe.
Lors de son enterrement, à Kiev, sa veuve tenait un garçon de 4 mois : son troisième enfant. Avant de mourir, il avait aidé son frère Dimitri, 34 ans, qui vivait en Russie, à s'installer à Tbilissi.
Timidement, Dimitri confie souffrir de plus en plus de l'absence de son grand frère. Il évoque des moments heureux de leur enfance : "jouer au stade", "aller dans les montagnes" et "nager dans la rivière".
Un sourire naît sur son visage. "On se bagarrait souvent", note Dimitri. "Mais à l'époque, et je l'ignorais, il se battait aussi pour me protéger."
L.Janezki--BTB