Aubaine ou arnaque? aux Philippines, des familles comptent sur les revenus d'un jeu NFT
Assis devant son ordinateur à Manille, aux Philippines, Dominic Lumabi combat de petites créatures fantastiques dans un jeu vidéo. Mais il ne s'agit pas de s'amuser: il gagne des crypto-monnaies pour soutenir sa famille appauvrie par la pandémie.
Axie Infinity est un jeu basé sur la blockchain qui permet de gagner de l'argent sous forme de NFT, des jetons numériques enregistrés sur des blockchains, un registre numérique décentralisé qui ne peut être modifié.
Créé en 2018 par Sky Mavis, une firme basée au Vietnam, le jeu a explosé dans les pays en développement, quand le Covid-19 a détruit des emplois et forcé de nombreuses personnes à rester chez elles.
Environ 35% du trafic et la majorité des 2,5 millions de joueurs actifs quotidiens sont basés aux Philippines.
Dominic Lumabi s'est lancé en juin dernier après avoir perdu son emploi dans une agence de publicité.
Dans le jeu, il participe à des batailles entre Axies, des personnages colorés, et gagne des "Smooth Love Potion" (SLP) qui peuvent être échangés contre de l'argent ou être réinvestis dans le jeu.
En jouant deux heures par jour, il gagne 8.000 à 10.000 pesos (138 à 172 euros) par mois, l'équivalent de la moitié de son salaire régulier en tant que modérateur de contenus.
Ses gains lui permettent de payer les frais universitaires de sa sœur, les courses et les factures. Des dépenses que l'entreprise de réparation de son père, en difficulté, ne peut plus couvrir.
Selon Leah Callon-Butler, consultante en technologie aux Philippines, la pandémie a offert à Axie Infinity l'"environnement idéal" pour attirer des joueurs.
"Ils pouvaient rester chez eux, à l'abri du virus et jouer à un jeu mignon tout en gagnant de l'argent", dit-elle.
- Axies à louer -
Mais pour commencer à jouer, il faut d'abord acheter au moins trois Axies. Les Axies sont des NFT, et peuvent être achetées, vendues ou louées à d'autres joueurs.
Les joueurs peuvent également élever des Axies pour en créer de nouvelles.
Au plus fort de la croissance du jeu l'année dernière, une équipe d'Axies pouvait coûter plusieurs centaines de dollars, un investissement hors de portée pour beaucoup de joueurs.
Le 9 février, les Axies les moins chers sur le marché coûtaient 37 dollars, a observé l'AFP, soit 111 dollars minimum pour commencer à jouer.
Les joueurs qui dépensent plus obtiennent de meilleurs Axies, leur donnant plus de chances de gagner des batailles, et donc des SLP.
Ceux qui ont le capital nécessaire pour monter des équipes plus lucratives ont mis en place des "bourses" - des systèmes de partage des actifs où les joueurs se voient facturer un pourcentage de leurs gains.
- Château de cartes -
Alors que le nombre de joueurs actifs quotidiens a explosé en 2021, le prix des Axies et des SLP a grimpé en flèche, soulevant des questions sur la durabilité du jeu.
Sky Mavis tire principalement ses revenus de la reproduction des Axies et des frais de marché, pour un chiffre d'affaires de 1,2 milliard de dollars au total.
Mais certains analystes jugent le modèle économique non viable, soulignant le besoin de nouveaux joueurs pour continuer à faire rentrer de l'argent.
Jonathan Teplitsky, de la société Horizen Labs, voit la plupart des jeux de ce type comme des "châteaux de cartes", alimentés par "le battage médiatique et la spéculation".
Axie Infinity n'est "pas un jeu à somme nulle" rétorque Trung Nguyen, cofondateur et directeur général de Sky Mavis à l'AFP, assurant que les joueurs n'en tirent pas "qu'une valeur monétaire".
Depuis plusieurs mois pourtant, le SLP a connu le type de volatilité observé avec de nombreuses autres crypto-monnaies.
L'année dernière, lorsque le jeu a été mis à jour, sa valeur est passée de 3,5 cents le 26 avril à 36,5 cents le 2 mai, prenant plus de 900% en moins d'une semaine, selon le fournisseur de données spécialisé CoinGecko.
Mais à la fin du mois dernier, il avait chuté à un cent, faisant dégringoler les revenus que les joueurs pouvaient espérer en tirer.
Sky Mavis a modifié le jeu pour limiter le nombre de jetons qu'un joueur peut générer, reconnaissant ainsi les préoccupations concernant l'inflation. La monnaie s'est légèrement redressée, atteignant environ trois cents.
Pour ajouter aux malheurs des joueurs philippins, l'autorité fiscale du pays a déclaré l'année dernière que les joueurs devaient payer des impôts sur leurs gains au jeu.
Les gains mensuels de Dominic Lumabi ont chuté de plus de moitié depuis qu'il a commencé à jouer, mais il ne se laisse pas abattre et a récemment acheté deux équipes d'Axies pour sa petite amie et pour sa sœur.
"Tant que je peux gagner 100 ou 1.000 pesos par mois, je considère que c'est toujours un bénéfice", dit-il.
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I.Meyer--BTB