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A Rostov, des jeunes "sans futur" manifestent dans la peur contre la guerre en Ukraine
Ils sont seuls, debout, éparpillés sur une place centrale de la ville russe de Rostov-sur-le-Don (sud-ouest), écouteurs dans les oreilles, se cherchant du regard et évitant les grappes de policiers.
A première vue, sur cette place passante, nulle trace d'une manifestation. Ces jeunes Russes ont pourtant répondu à un appel lancé sur la plateforme Telegram à venir se rassembler contre l'invasion de l'Ukraine, décrétée le 24 février par le Kremlin.
Au bout d'une heure d'immobilité dans le froid, certains finissent par se deviner les uns les autres, se rapprochent pour parler, par tous petits groupes. Aucun slogan, aucune pancarte, aucun chant.
Les nombreux policiers présents vérifient les documents de ceux qui s'attardent un peu trop longtemps. Les documents des journalistes sont vérifiés et photocopiés. Des agents de renseignement en civil s'approchent dès qu'un micro est tendu.
Loin des grandes villes comme Moscou ou Saint-Pétersbourg, où des cortèges de taille importante ont protesté contre la guerre, malgré des centaines d'arrestations, ici les quelques manifestants sont à la fois téméraires et terrorisés.
Café à la main, un jeune couple accepte volontiers de parler face caméra. "Oui, s'il vous plaît, parlez-nous", dit Nikolaï Kovachtchévitch, 30 ans, technicien dans un théâtre.
- "Nous n'allons nulle part" -
"Si nous menaçons le monde avec nos armes nucléaires, c'est un chemin qui ne mène nulle part. Cela signifie que nous n'allons nulle part. Il n'y a pas d'avenir, il n'y aura pas de naissance d'enfants, il n'y a pas de lendemain, en fait", assène-t-il, les traits déformés par l'émotion.
A ses côtés, sa partenaire Marguérita Khaïchbachéva, une blogueuse vidéo de 29 ans, montre la place presque vide. "Tout le monde est très intimidé. Tout le monde a peur d'aller en prison (ou) de recevoir de lourdes amendes qu'ils ne pourront pas payer."
"Nous vivons dans un Etat policier. Les gens sont maintenus dans une peur terrible", regrette-t-elle, la voix brisée.
Un peu plus loin, Anton se tient seul, debout face à la place et ne décline que son prénom. Avant de se livrer, cet étudiant de 23 ans en littérature anglaise demande à voir "une preuve que vous travaillez bien pour l'AFP", craignant de se faire piéger par des forces de l'ordre en civil.
Pourtant, lorsqu'un homme au crâne rasé sous son bonnet noir s'approche et ne nous lâche pas des yeux, puis que la police vient vérifier nos papiers pour la deuxième fois en moins d'une heure, le jeune étudiant reste debout à côté de nous.
"Dans mon entourage, personne n'est d'accord (avec l'invasion russe en Ukraine, NDLR). Personne ne veut que des gens meurent. Mais seulement quelques-uns d'entre nous sont prêts à faire quelque chose, à parler, à aider. Les autres, non", regrette ce jeune homme originaire du territoire ukrainien séparatiste de Lougansk, à 200 km au nord de Rostov.
Nikolaï Zima, 18 ans, étudie le commerce. Alors qu'il était encore mineur, il raconte avoir participé aux meetings en soutien à l'opposant empoisonné puis incarcéré Alexeï Navalny, en 2020 et 2021.
Aujourd'hui, il se dit "prêt à partir en guerre" si son pays l'y appelait. "Si nous sommes attaqués, oui, je suis prêt à y aller (...) mais pas contre l'Ukraine et des peuples frères."
"C'est une guerre insensée et je suis tout à fait contre. Je ne peux pas être indifférent", ajoute-t-il dépité, balayant la place du regard.
A 52 ans, Irina Aroïan est la seule à arborer un "signe". Venue avec son fils adolescent, elle a attaché à son sac un noeud jaune et bleu, les couleurs du drapeau ukrainien. "J'ai honte de mon pays, de mon armée, qui ne protège personne, qui attaque un autre pays", soupire-t-elle.
Ancienne journaliste indépendante, elle enseigne désormais l'anglais aux jeunes "pour vivre". En cours, elle leur parle de politique. "Malheureusement, en Russie, il n'y a que de la propagande, que de la télévision pro-Kremlin."
Sur ses dix élèves, huit se sont dits en faveur de la guerre, rapporte-t-elle.
"Malheureusement, parmi les jeunes, 80% sont victimes de cette propagande. Ils ne savent rien de ce qu'il se passe dans le monde."
S.Keller--BTB