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Richard Ferrand, le dernier grognard de Macron devient premier des Sages
Il se serait imaginé "éteindre la lumière" des quinquennats d'Emmanuel Macron comme Premier ministre, mais Richard Ferrand va finalement prendre la tête du Conseil constitutionnel. Une consécration obtenue difficilement pour cet ex-président de l'Assemblée issu de la gauche, resté un influent entremetteur politique.
Vendredi 13 décembre 2024, 10H30, un nom s'affiche sur le téléphone de Richard Ferrand: François Bayrou. "Richard, il nous faut nous voir", souffle le patron du MoDem, à peine sorti du bureau d'Emmanuel Macron où il tente d'arracher sa nomination comme Premier ministre.
Pourquoi, en plein bras de fer, M. Bayrou passe-t-il une heure à écumer sa colère dans un appartement de la rive gauche de Paris? Car il sait Richard Ferrand l'un des rares capables de décoder la psyché élyséenne, après dix années à côtoyer Emmanuel Macron.
"Il a un positionnement unique auprès du président qui est de pouvoir vraiment tout lui dire, sans filtre, et le président l'écoute pour de vrai. Ce lien-là je ne l'ai jamais vu s'éteindre", témoigne l'ancien ministre Stanislas Guerini.
Un poids que M. Ferrand, 62 ans, s'emploie à minimiser auprès de ses interlocuteurs, faisant valoir qu'il y avait "des sujets sur lesquels" il pouvait "emporter la conviction" du président. "D'autres, ce sont des bouteilles à la mer", s'amuse-t-il.
Cette proximité a même été un poids pour lui quand il a fallu mercredi défendre sa candidature, et son indépendance vis-à-vis de l’Élysée, auprès des parlementaires. "Je ne crois pas avoir une âme de valet", a-t-il lancé devant les députés.
Sans mandat électif depuis 2022, désormais à la tête d'une société de conseil, M. Ferrand n'en conserve pas moins un pied en politique, au point d'être maintes fois cité pour Matignon. Et consulté par le président avant chaque décision d'importance.
Il est aperçu devisant avec François Hollande devant Notre-Dame le jour de la réouverture, à une table de restaurant avec les ex-ministres Éric Dupond-Moretti et Olivier Dussopt, tandis que fuitent des bribes de ses échanges avec Nicolas Sarkozy...
Et cet adepte de la formule ciselée, amateur de bonne chère et de rugby, d'ironiser sur le taux de remplissage de sa messagerie à l'heure des remaniements, ou sur les floraisons de mots doux - et intéressés - qu'on lui susurre à l'adresse du président, y compris d'opposants notoires.
Mais c'est en spectateur parfois amer qu'il voit la page Macron se tourner dans son propre camp, avec l'émergence de Gabriel Attal. Visant notamment M. Ferrand, l'entourage de l'ex-Premier ministre avait d'ailleurs moqué l'an dernier dans la presse l'influence des "boomers" qui voudraient faire de la Ve République un "Ehpad".
- Doutes -
Du commando originel qui a contribué à amener M. Macron au pouvoir en 2017, beaucoup ont pris le large, usés, déçus voire balayés par les affres de la politique. Mais Richard Ferrand, qui végétait au mitan des années 2010 dans le marais des députés socialistes avant d'être propulsé sur le devant de la scène par l'aventure macroniste, est arrimé dans la garde rapprochée.
Y compris après sa défaite aux législatives de 2022, après dix ans de mandat dans le Finistère où cet Aveyronnais d'origine avait jeté l'ancre.
Y compris surtout après avoir essuyé dès l'été 2017, tout juste nommé ministre de la Cohésion des territoires, une tempête judiciaire avec le dossier des Mutuelles de Bretagne. Mis en examen pour "prise illégale d'intérêts", il a vu le feuilleton se clore en octobre 2022, la Cour de cassation confirmant la prescription de faits que M. Ferrand estime de toutes façons "pas établis".
Père de deux jeunes filles et d'un fils plus âgé issu d'un premier mariage, cet ancien journaliste et dirigeant d'une agence de graphisme s'est souvent dit meurtri par cette affaire immobilière. Cela l'a aussi amené à réserver sa réponse pour se porter candidat à la présidence du Conseil constitutionnel, craignant que sa candidature qu'il savait "périlleuse" ne rouvre ces blessures et n'engendre un camouflet à Emmanuel Macron.
"J'ai beaucoup hésité (...) Je n'ignorais rien, évidemment, des doutes qui surgiraient sur différents points", a-t-il ainsi admis devant les députés mercredi, qui ont notamment questionné son manque d'expertise jurdique, lui qui a poursuivi de son propre aveu "de très modestes études supérieures".
Mais l'envie était brûlante: comment refuser de s'inscrire dans les pas de Laurent Fabius et Jean-Louis Debré, qui furent également ses prédécesseurs à la présidence de l'Assemblée? Une manière aussi de se poser durant neuf ans en garant des institutions en cas d'arrivée de forces populistes à l’Élysée en 2027.
C.Kovalenko--BTB