Berliner Tageblatt - Les rats aussi ont leur "madeleine de Proust"

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Les rats aussi ont leur "madeleine de Proust"
Les rats aussi ont leur "madeleine de Proust" / Photo: © AFP/Archives

Les rats aussi ont leur "madeleine de Proust"

Les rats ont des mémoires épisodiques, comme celle que l'écrivain Marcel Proust décrivait avec sa madeleine: c'est ce que montre une expérience qui modélise pour la première fois ce type de souvenir bien particulier et dans lequel l'odeur joue un rôle clé.

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"Et tout d’un coup le souvenir m'est apparu", s'écrie l'auteur d'"A la recherche du temps perdu", quand le goût d'une madeleine trempée dans du thé réveille de puissants souvenirs d'enfance.

Or, le mécanisme de ce type de souvenir, qui associe une sensation physique à un lieu et un contexte, "reste mal compris", remarque l'étude publiée en avril dans la revue scientifique Progress in Neurobiology.

L'équipe codage et mémoire olfactive du Centre de recherche en neurosciences de Lyon-1 a cherché à comprendre comment un souvenir dit épisodique, car formé à partir d'un évènement et non d'un apprentissage, peut se maintenir sur de longues périodes.

Ce souvenir épisodique est celui d'"un épisode de vie que l'on ne vit qu'une fois, très personnel", explique la neurobiologiste Alexandra Veyrac, qui a conçu la recherche. Et c'est souvent "une odeur qui, tout d'un coup, parce qu'elle est émotionnellement forte, ouvre les portes d'un souvenir", dit-elle à l'AFP.

L'étude montre que des rats peuvent former et rappeler le souvenir d'un évènement lointain, associant une odeur à un endroit et un environnement particulier. Et que cette mémoire épisodique est "robuste" dans le temps, même si inégalement partagée d'un individu à un autre.

- Les odeurs "ouvrent des portes" -

Pour l'établir, l'équipe de Lyon a placé des rats dans des boîtes agrémentées de deux sortes de décors et équipées de quatre petits guichets, dispensant différentes odeurs associées à l’accès éventuel à une solution sucrée ou amère.

Les rats exposés à l'expérience ont encodé dans leur mémoire une expérience plaisante ou désagréable, associant une certaine odeur à un lieu et un décor particulier.

Leur mémoire épisodique a été testée un mois plus tard --l'équivalent de quelques années chez l'humain--, dans un dispositif similaire. La moitié d'entre eux est allée renifler l'odeur associée à un lieu et un décor particuliers. Un tiers n'a conservé que la mémoire d'un lieu et les 20% ne se souvenaient apparemment de rien.

"Il y a des animaux qui se rappellent de tout, d'autres seulement d'un lieu, et ceux qui ne se rappellent de rien", commente la chercheuse. La véritable découverte est qu'à chaque profil correspond un réseau cérébral plus ou moins étendu.

"Le rat qui se rappelle de tout va avoir un réseau plus large, avec des zones olfactives qui sont très importantes", explique Alexandra Veyrac, car l'odeur est porteuse d'une grande "valeur émotionnelle", susceptible de raviver un souvenir.

Le sens olfactif a cette particularité, chez le rat comme chez l'humain, qu'une fois traitée dans le cerveau, une odeur arrive très vite dans les zones concernant la mémoire et les émotions. "Les odeurs ouvrent des portes que d'autres sens n'ouvrent pas", poursuit la chercheuse.

La place de ce sens est telle que l'équipe de Lyon a remarqué que juste après l'évènement qu'encode l'animal, les aires olfactives du cerveau ne sont pas particulièrement sollicitées. En revanche, avec le temps, la mémoire de l'odeur prend plus de poids chez les rats qui se rappellent de tout.

Cet "ancrage corporel" pourrait être une des clés du fonctionnement de la mémoire épisodique, selon les chercheurs de Lyon, qui se demandent si un phénomène de consolidation de ce genre de souvenir n'est pas à l’œuvre.

Le comprendre chez le rat aidera à le comprendre chez l'humain, pour qui la mémoire épisodique est "au plus proche de l'histoire individuelle". Or cette mémoire est la première à être altérée dans des pathologies neuro-dégénératives et avec l'âge. "Et quand on perd nos souvenirs personnels, c'est un peu de nos vies que l'on perd", rappelle la chercheuse.

M.Furrer--BTB